Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la raison fait horreur, et pour qui le fait est toujours suffisamment expliqué, justifié, par cela seul qu’il existe ? La propriété, disent-ils, est une création de la spontanéité sociale, l’effet d’une loi de la Providence, devant laquelle nous n’avons qu’à nous humilier comme devant tout ce qui vient de Dieu ! Eh ! que pourrions-nous trouver de plus respectable, de plus authentique, de plus nécessaire et de plus sacré, que ce que le genre humain a voulu spontanément, et qu’il accomplit par une permission d’en-haut ?

Ainsi, la religion vient à son tour consacrer la propriété. À ce signe, on peut juger du peu de solidité de ce principe. Mais la société, autrement dite la Providence, n’a pu consentir à la propriété qu’en vue du bien général : est-il permis, sans manquer au respect dû à la Providence, de demander d’où viennent alors les exclusions ?… Que si le bien général n’exige pas absolument l’égalité des propriétés, du moins il implique une certaine responsabilité de la part du propriétaire ; et quand le pauvre demande l’aumône, c’est le souverain qui réclame sa dîme. D’où vient donc que le propriétaire est maître de ne rendre jamais compte, de n’admettre qui que ce soit, et pour si peu que ce soit, en partage ?

Sous tous ces points de vue la propriété reste inintelligible ; et ceux qui l’ont attaquée pouvaient être certains d’avance qu’on ne leur répondrait pas, comme ils pouvaient compter aussi que leurs critiques n’auraient pas le moindre effet. La propriété existe de fait ; mais la raison la condamne : comment concilier ici la réalité et l’idée ? comment faire passer la raison dans le fait ? Voilà ce qui nous reste à faire, et que personne encore ne semble avoir clairement compris. Cependant, tant que la propriété sera défendue par d’aussi pauvres moyens, la propriété sera en péril ; et tant qu’un fait nouveau et plus puissant ne sera pas opposé à la propriété, les attaques à la propriété ne seront que d’insignifiantes protestations, bonnes pour ameuter la gueuserie et irriter les propriétaires.

Enfin un critique est venu, qui, procédant à l’aide d’une argumentation nouvelle, a dit :

La propriété, en fait et en droit, est essentiellement contradictoire, et c’est par cette raison même qu’elle est quelque chose. En effet,

La propriété est le droit d’occupation ; et en même temps le droit d exclusion.

La propriété est le prix du travail ; et la négation du travail.