Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/193

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pourvu qu’il gagne ; son âme n’est pas enchaînée à un point de l’horizon, à une particule de la matière. Son existence reste vague, tant que la société, qui lui a conféré le monopole comme moyen de fortune, ne fait pas pour lui de ce monopole une nécessité de vie.

Or, le monopole, par lui-même si précaire, exposé à toutes les incursions, à toutes les avanies de la concurrence, tourmenté par l’état, pressuré par le crédit, ne tenant point au cœur du monopoleur ; le monopole tend incessamment, sous l’action de l’agiotage, à se dépersonnaliser ; en sorte que l’humanité, livrée sans cesse à la tempête financière par le dégagement général des capitaux, est exposée à se détacher du travail même, et à rétrograder dans sa marche.

Qu’était, en effet, le monopole, avant l’établissement du crédit, avant le règne de la banque ? Un privilège de gain, non un droit de souveraineté ; un privilège sur le produit, bien plus qu’un privilège sur l’instrument. Le monopoleur restait étranger à la terre sur laquelle il habitait, mais qu’il ne possédait réellement pas ; il avait beau multiplier ses exploitations, agrandir ses fabriques, joindre terre à terre : c’était toujours un régisseur, plutôt qu’un maître ; il n’imprimait point aux choses son caractère ; il ne les faisait point à son image ; il ne les aimait pas pour elles-mêmes, mais uniquement pour les valeurs qu’elles lui devaient rendre ; en un mot, il ne voulait pas le monopole comme fin, mais comme moyen.

Après le développement des institutions de crédit, la condition du monopole est encore pire.

Les producteurs, qu’il s’agissait d’associer, sont devenus totalement incapables d’association ; ils ont perdu le goût et l’esprit du travail : ce sont des joueurs. Au fanatisme de la concurrence, ils joignent les fureurs de la roulette. La bancocratie a changé leur caractère et leurs idées. Jadis ils vivaient entre eux comme maîtres et salariés, vassaux et suzerains : maintenant ils ne se connaissent plus que comme emprunteurs et usuriers, gagnants et perdants. Le travail a disparu au souffle du crédit ; la valeur réelle s’évanouit devant la valeur fictive, la production devant l’agiotage. La terre, les capitaux, le talent, le travail même, si quelque part encore il se rencontre du travail, servent d’enjeux. De privilèges, de monopoles, de fonctions publiques, d’industrie, on ne se soucie plus ; la richesse, on ne la demande pas au travail, on l’attend d’un coup de dé. Le crédit, disait la