Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/228

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italiens ; c’était l’or des nations vaincues, qui, sous les empereurs, payait les artistes grecs ; c’était le travail des esclaves qui les payait sous Périclès. L’égalité est venue : est-ce que les arts libéraux veulent ramener l’esclavage, et abdiquer leur nom ?

Le talent est d’ordinaire l’attribut d’une nature disgraciée, en qui l’inharmonie des aptitudes produit une spécialité extraordinaire, monstrueuse. Un homme n’ayant point de mains écrit avec son ventre, voilà l’image du talent. Aussi nous naissons tous artistes : notre âme, comme notre visage, s’éloigne toujours plus ou moins de son idéal ; nos écoles sont des établissements orthopédiques où, en dirigeant la croissance, on corrige les difformités de la nature. Voilà pourquoi l’enseignement tend de plus en plus à l’universalité, c’est-à-dire à l’équilibre des talents et des connaissances ; pourquoi aussi l’artiste n’est possible qu’entouré d’une société en communauté de luxe avec lui. En matière d’art, la société fait presque tout : l’artiste est bien plus dans le cerveau de l’amateur que dans l’être mutilé qui excite son admiration.

Sous l’influence de la propriété, l’artiste, dépravé dans sa raison, dissolu dans ses mœurs, plein de mépris pour ses confrères dont la propagande le fait seule valoir, vénal et sans dignité, est l’image impure de l’égoïsme. Chez lui le beau moral n’est qu’affaire de convention, matière à figures. L’idée du juste et de l’honnête glisse sur son cœur sans prendre racine ; et de toutes les classes de la société, celle des artistes est la plus pauvre en âmes fortes et en nobles caractères. Si l’on rangeait les professions sociales selon l’influence qu’elles ont exercée sur la civilisation par l’énergie de la volonté, la grandeur des sentiments, la puissance des passions, l’enthousiasme de la vérité et de la justice, et abstraction faite de la valeur des doctrines : les prêtres et les philosophes paraîtraient au premier rang ; viendraient après les hommes d’état et les capitaines ; puis les commerçants, les industriels, les laboureurs ; finalement, les savants et les artistes. Tandis que le prêtre, dans sa langue poétique, se regarde comme le temple vivant de Dieu ; tandis que le philosophe se dit à lui-même. Agis de telle sorte que chacune de tes actions puisse servir de modèle et de règle : l’artiste demeure indifférent à la signification de son œuvre ; il ne cherche point à personnifier en lui le type qu’il veut rendre, il s’en abstrait ; il exploite le beau et le sublime, il ne l’adore