Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/229

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pas ; il met le Christ sur la toile, il ne le porte pas, comme saint Ignace, dans sa poitrine.

Le peuple, dont l’instinct est toujours si sûr, conserve la mémoire des législateurs et des héros ; il s’inquiète peu du nom des artistes. Longtemps même, dans sa rude innocence, il ne sent pour eux que répulsion et mépris, comme s’il avait reconnu dans ces enlumineurs de la vie humaine les instigateurs de ses vices, les complices de son oppression. Le philosophe a consigné dans ses livres cette méfiance du peuple pour les arts de luxe ; le législateur les a dénoncés au magistrat ; la religion, obéissant au même sentiment, les a frappés de ses anathèmes. L’art, c’est-à-dire le luxe, le plaisir, la volupté, ce sont les œuvres et les pompes de Satan, qui livrent le chrétien à la damnation éternelle. Et sans vouloir incriminer une classe d’hommes que la corruption générale a rendue aussi estimable qu’aucune autre, et qui après tout use de ses droits, j’ose dire que le mythe chrétien est justifié. Plus que jamais l’art est un outrage perpétuel à la misère publique, un masque à la débauche. Par la propriété ce qu’il y a de meilleur en l’homme devient incessamment ce que l’homme a de pire, corruptio optimi pessima.

Travaillez, répètent sans cesse au peuple les économistes ; travaillez, épargnez, capitalisez, devenez à votre tour propriétaires. Comme s’ils disaient : Ouvriers, vous êtes les recrues de la propriété. Chacun de vous porte dans son sac la verge qui sert à le corriger, et qui peut lui servir un jour à corriger les autres. Élevez-vous par le travail jusqu’à la propriété ; et quand vous aurez goûté de la chair humaine, vous ne voudrez plus d’autre viande, et vous réparerez vos longues abstinences.

Tomber du prolétariat dans la propriété ! de l’esclavage dans la tyrannie, c’est-à-dire, suivant Platon, toujours dans l’esclavage ! quelle perspective ! Et pourtant il le faut, la condition de l’esclave n’est plus tenable. Il faut marcher, s’affranchir du salariat, devenir capitaliste, devenir tyran ! Il le faut, entendez-vous, prolétaires ? La propriété n’est point chose d’élection dans l’humanité, c’est l’ordre absolu du destin. Vous ne serez libres qu’après vous être rachetés, par l’asservissement de vos maîtres, de la servitude qu’ils font peser sur vous.

Par un beau dimanche d’été, le peuple des grandes villes quitte sa sombre et humide demeure, et va chercher l’air vigoureux et pur de la campagne. Mais quoi ! il n’y a plus