Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/29

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diatement et sans perte, acceptée en échange d’une autre, il serait tout à fait indifférent, dans le commerce international, de savoir si l’importation dépasse ou non l’exportation. Cette question même n’aurait plus de sens, à moins que la somme des valeurs de l’une ne dépassât la somme des valeurs de l’autre. Dans ce cas, ce serait comme si la France échangeait une pièce de 20 fr. contre une livre sterling, ou un bœuf de 40 quintaux contre un de 30. Par le premier troc, elle aurait gagné 20 p. 100 ; par le second elle aurait perdu 25. En ce sens, J. B. Say aurait eu raison de dire qu’une nation gagne d’autant plus que la valeur des marchandises qu’elle importe surpasse la valeur des marchandises qu’elle exporte. Mais tel n’est point le cas dans la condition actuelle du commerce : la différence de l’importation sur l’exportation s’entend uniquement des marchandises pour lesquelles une quantité de numéraire a dû être donnée comme appoint ; or, cette différence n’est point du tout indifférente.

C’est ce qu’avaient parfaitement compris les partisans du système mercantile, qui n’étaient autre chose que des partisans de la prérogative de l’argent. On a dit, répété, imprimé, qu’ils ne considéraient comme richesse que le métal. Calomnie pure. Les mercantilistes savaient aussi bien que nous que l’or et l’argent ne sont pas la richesse, mais l’instrument tout puissant des échanges, par conséquent le représentant de toutes les valeurs qui composent le bien-être, un talisman qui donne le bonheur. Et la logique ne leur a pas fait défaut, non plus qu’aux peuples, quand, par synecdoque, ils ont appelé richesse l’espèce de produit qui, mieux qu’aucun autre, condense et réalise toute richesse.

Les économistes, au reste, n’ont pas méconnu l’avantage qui s’attache à la possession de l’argent. Mais comme, ainsi qu’on peut le voir par tous leurs écrits, ils n’ont jamais su se rendre compte théoriquement de cette acception de la marchandise or et argent ; comme ils n’y ont vu qu’un préjugé populaire ; comme enfin, à leurs yeux, les matières monnayées ne sont qu’une marchandise ordinaire, laquelle n’a été prise pour instrument d’échange que parce qu’elle est plus portative, plus rare et moins altérable ; les économistes ont été conduits par leur théorie, tranchons le mot, par leur ignorance de la monnaie, à en méconnaître le véritable rôle dans le commerce ; et leur guerre contre les douanes n’est autre chose, au fond, qu’une guerre contre l’argent.