Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/30

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J’ai fait voir au chapitre de la valeur que le privilége de l’argent lui vient de ce qu’il a été dès l’origine et qu’il est encore la seule valeur déterminée qui circule dans les mains des producteurs. Je crois inutile de reprendre ici cette question épuisée ; mais il est facile de comprendre d’après ce qui a été dit, et ce sera l’objet particulier du chapitre suivant, pourquoi celui qui possède le numéraire, qui fait métier de louer ou de vendre de l’argent, obtient par cela seul une supériorité marquée sur tous les producteurs, pourquoi enfin la banque est la reine de l’industrie comme du négoce.

Ces considérations, fondées sur les données les plus élémentaires et les plus indéniables de l’économie politique, une fois introduites dans le syllogisme de Say, toute sa théorie du libre commerce et des débouchés si étourdiment embrassée par ses disciples, n’apparaît plus que comme l’extension indéfinie de la chose même contre laquelle ils déclament, la spoliation des consommateurs, le monopole.

Poursuivons d’abord la démonstration théorique de cette antithèse : nous viendrons ensuite à l’application et aux faits.

Say prétend qu’entre les nations l’argent n’a pas les mêmes effets qu’entre les particuliers. Je nie positivement cette proposition, que Say n’a émise que parce qu’il ignorait la vraie nature de l’argent. Les effets de l’argent, bien qu’ils se produisent entre les nations d’une manière moins apparente, et surtout moins immédiate, sont exactement les mêmes qu’entre simples particuliers.

Supposons le cas d’une nation qui achèterait sans cesse de toutes sortes de marchandises, et ne rendrait jamais en échange que son argent. J’ai le droit de faire cette supposition extrême, comme l’économiste dont j’ai rapporté plus haut les paroles avait le droit de dire que si l’Angleterre nous donnait ses produits pour rien, les prohibitionnistes, pour être conséquents, devraient crier à la trahison. J’use du même procédé, et pour mettre en relief l’impossibilité du régime contraire, je commence par supposer une nation qui achète tout et ne vend rien. En dépit des théories économistes, tout le monde sait ce que cela veut dire.

Qu’arrivera-t-il ?

Que la partie du capital de cette nation, qui consiste en métaux précieux, s’étant écoulée, les nations venderesses en renverront à la nation acheteuse moyennant hypothèque ; ce qui veut dire que cette nation, comme les prolétaires romains destitués de patrimoine, se vendra elle-même pour vivre.