Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/84

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J’oserai même dire qu’entre la vérité déguisée par la fable et la même vérité habillée par la logique, il n’y a pas de différence essentielle. Au fond, la poésie et la science sont de même tempérament, la religion et la philosophie ne diffèrent pas ; et tous nos systèmes sont comme une broderie à paillettes, toutes de grandeur, couleur, figure et matière semblable, et susceptibles de se prêter à toutes les fantaisies de l’artiste.

Pourquoi donc me livrerais-je à l’orgueil d’un savoir qui, après tout, témoigne uniquement de ma faiblesse, et resterais-je volontairement la dupe d’une imagination dont le seul mérite est de fausser mon jugement, en grossissant comme des soleils les points brillants épars sur le fonds obscur de mon intelligence ? Ce que j’appelle en moi science n’est autre chose qu’une collection de jouets, un assortiment d’enfantillages sérieux, qui passent et repassent sans cesse dans mon esprit. Ces grandes lois de la société et de la nature, qui me semblent les leviers sur lesquels s’appuie la main de Dieu pour mettre en branle l’univers, sont des faits aussi simples qu’une infinité d’autres auxquels je ne m’arrête pas, des faits perdus dans l’océan des réalités, et ni plus ni moins dignes de mon attention que des atomes. Cette succession de phénomènes dont l’état et la rapidité m’écrasent, cette tragi-comédie de l’humanité qui tour à tour me ravit et m’épouvante, n’est rien hors de ma pensée, qui seule a le pouvoir de compliquer le drame et d’allonger le temps.

Mais si c’est le propre de la raison humaine de construire, sur le fondement de l’observation, ces merveilleux ouvrages par lesquels elle se représente la société et la nature ; elle ne crée par la vérité, elle ne fait que choisir, dans l’infinité des formes de l’être, celle qui lui agrée le plus. Il suit de là que pour le travail de la raison humaine devienne possible, pour qu’il y ait de sa part commencement de comparaison et d’analyse, il faut que la vérité, la fatalité tout entière, soit donnée. Il n’est donc pas exact de dire que quelque chose advient, que quelque chose se produit : dans la civilisation comme dans l’univers, tout existe, tout agi depuis toujours. Ainsi la loi d’équilibre se manifeste dès l’instant où il s’élablit des relations entre les propriétaires de deux champs voisins ; ce n’est pas sa faute si, à travers nos fantaisies de restrictions, de prohibitions et de prodigalités, nous n’avons pas su la découvrir.

Il en est ainsi de toute l’économie sociale. Partout l’idée