Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/85

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synthétique fonctionne en même temps que ses éléments antagonistes ; et tandis que nous nous figurons le progrès de l’humanité comme une perpétuelle métamorphose, ce progrès n’est autre chose en réalité qu’une prédominance graduelle d’une idée sur une autre, prédominance et gradation qui nous apparaissent comme si les voiles qui nous dérobent à nous-mêmes se retiraient insensiblement.

De ces considérations il faut conclure, et ce sera tout à la fois le résumé de ce paragraphe, et l’annonce d’une solution plus haute :

Que la formule d’organisation de la société par le travail doit être aussi simple, aussi primitive, d’une intelligence et d’une application aussi facile, que cette loi d’équilibre qui, découverte par l’égoïsme, soutenue par la haine, calomniée par une fausse philosophie, égalise entre les peuples les conditions du travail et du bien-être ;

Que cette formule suprême, qui embrasse à la fois le passé et l’avenir de la science, doit satisfaire également aux intérêts sociaux et à la liberté individuelle ; concilier la concurrence et la solidarité, le travail et le monopole, en un mot, toutes les contradictions économiques ;

Qu’elle existe, cette formule, dans la raison impersonnelle de l’humanité, qu’elle agit et fonctionne aujourd’hui même et dès l’origine des sociétés, aussi bien que chacune des idées négatives qui la constituent ; que c’est elle qui fait vivre la civilisation, détermine la liberté, gouverne le progrès, et, parmi tant d’oscillations et de catastrophes, nous porte d’un effort certain vers l’égalité et l’ordre.

En vain travailleurs et capitalistes s’épuisent dans une lutte brutale ; en vain la division parcellaire, les machines, la concurrence et le monopole déciment le prolétariat ; en vain l’iniquité des gouvernements et le mensonge de l’impôt, la conspiration des priviléges, la déception du crédit, la tyrannie propriétaire et les illusions du communisme multiplient sur les peuples la servitude, la corruption et le désespoir : le char de l’humanité roule, sans s’arrêter ni reculer jamais, sur sa route fatale, et les coalitions, les famines, les banqueroutes, paraissent moins sous ses roues immenses, que les pics des Alpes et des Cordilières sur la face unie du globe. Le dieu, la balance à la main, s’avance dans une majesté sereine ; et le sable de la carrière n’imprime à son double plateau qu’un invisible frémissement.