J’ai pourtant osé dire, et je l’ai dit pour l’honneur de la conscience humaine et pour la providentialité de l’histoire, j’ai dit que la raison supérieure, historique et philosophique, de l’esclavage, avait été la nécessité de contraindre l’homme au travail ; qu’une des formes de cette servitude avait été l’établissement des tributs, nom primitif et caractéristique de l’impôt. J’aurais pu ajouter que telle est pour l’ordre social, pour l’éducation de l’humanité et la félicité à venir des peuples, l’importance du travail et du rassemblement des familles en corps d’État, que cette contrainte a pu et dû, à une certaine époque, être considérée comme légitime, et donner lieu à une sorte de droit. Était-il possible d’accorder davantage à la philosophie de l’histoire et à la raison d’État ? Quant à l’impôt, dont l’étymologie témoigne de la pensée d’asservissement qui présida à son institution, et qui jusqu’à la Révolution française eut pour complément et pour auxiliaire la mainmorte, la corvée, et tout l’attirail des droits féodaux, il est évident qu’il servit à marquer la longue transition entre l’esclavage antique et le droit public moderne, où l’on ne le considère plus que comme la part proportionnelle incombant à chacun dans les services publics. Il n’y a pas, à ce double point de vue de l’esclavage et de l’impôt, d’autre enseignement à tirer de l’histoire : car je compte pour rien les considérations de bonne foi et de philanthropie intentionnelle alléguées en faveur des princes et de leurs suppôts. Que M. Cherbuliez consulte sa conscience, et je m’assure qu’il n’y trouvera rien de plus. Que signifie donc le reproche qu’il m’adresse, d’inculper les intentions du pouvoir, et de méconnaître les lois de la politique et du progrès ? Avais-je besoin de ressasser ces vieilles excuses du despotisme, tandis que j’aurais couru d’un pied léger sur les misères des masses ? J’ai écrit mon livre pour le peuple, je l’avoue, non pour les académiciens et les hommes d’État ; je tenais à exciter le zèle de la justice beaucoup plus
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