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Page:Proudhon - Théorie de la propriété, 1866.djvu/207

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l’abus de la propriété au-dessus de toute poursuite, bien que ce même abus fût condamné par la conscience. Mais cette interprétation n’est pas vraie, ainsi que le dit formellement l’article 544 : c’est en vue de l’État que la réserve est exprimée, de l’État, organe officiel et armé du Droit, tandis que le propriétaire n’est qu’un justiciable. Qu’est-ce donc qu’a voulu dire le législateur ? Il est fort probable qu’il ne le savait pas lui-même, et qu’il n’a parlé ainsi que de l’abondance de son sentiment. La vérité, selon moi, est que si la propriété est absolue, l’État aussi est absolu ; que ces deux absolus sont appelés à vivre en face l’un de l’autre, comme le propriétaire est appelé à vivre en face de son voisin propriétaire ; et que c’est de l’opposition de ces absolus que jaillit le mouvement politique, la vie sociale, de même que de l’opposition des deux électricités contraires jaillit l’étincelle motrice, lumineuse, vivifiante, la foudre.

Ainsi, le droit d’abuser est accordé sans réserve, dans la sphère de la propriété ; ce qui lui est interdit, c’est d’empiéter sur le droit du voisin, à plus forte raison sur celui de l’État. Que tous les propriétaires, et l’État avec eux, abusent à l’envi de leurs propriétés, ils le peuvent ; ce qu’ils ne peuvent pas, c’est de s’empêcher réciproquement d’abuser. Dès que l’abus est pris pour matière de droit, comme le travail, la culture ou la jouissance, il est soumis, chose étonnante, mais logique, à la maxime du droit : « Ne fais pas a autrui ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait. » Et pourquoi ce respect mutuel de l’abus ?