déjeuner. La Joconde se serait trouvée là qu’elle ne m’eût pas fait plus de plaisir qu’une robe de chambre de Mme Swann, ou ses flacons de sel.
Je continuais à attendre, seul, ou avec Swann et souvent Gilberte, qui était venue nous tenir compagnie. L’arrivée de Mme Swann, préparée par tant de majestueuses entrées, me paraissait devoir être quelque chose d’immense. J’épiais chaque craquement. Mais on ne trouve jamais aussi hauts qu’on les avait espérés une cathédrale, une vague dans la tempête, le bond d’un danseur ; après ces valets de pied en livrée, pareils aux figurants dont le cortège, au théâtre, prépare, et par là même diminue l’apparition finale de la reine, Mme Swann entrant furtivement en petit paletot de loutre, sa voilette baissée sur un nez rougi par le froid, ne tenait pas les promesses prodiguées dans l’attente à mon imagination.
Mais si elle était restée toute la matinée chez elle, quand elle arrivait dans le salon, c’était vêtue d’un peignoir en crêpe de Chine de couleur claire qui me semblait plus élégant que toutes les robes.
Quelquefois les Swann se décidaient à rester à la maison tout l’après-midi. Et alors, comme on avait déjeuné si tard, je voyais bien vite sur le mur du jardinet décliner le soleil de ce jour qui m’avait paru devoir être différent des autres, et les domestiques avaient beau apporter des lampes de toutes les grandeurs et de toutes les formes, brûlant chacune sur l’autel consacré d’une console, d’un guéridon, d’une « encoignure » ou d’une petite table, comme pour la célébration d’un culte inconnu, rien d’extraordinaire ne naissait de la conversation, et je m’en allais déçu, comme on l’est souvent dès l’enfance après la messe de minuit.
Mais ce désappointement-là n’était guère que spirituel. Je rayonnais de joie dans cette maison où Gilberte, quand elle n’était pas encore avec nous, allait entrer, et me donnerait dans un instant, pour des