Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 4.djvu/129

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Quant à la venue de la princesse de Luxembourg, dont l’équipage le jour où elle avait apporté des fruits, s’était arrêté devant l’hôtel, elle n’avait pas échappé au groupe de la femme du notaire, du bâtonnier et du premier président, déjà depuis quelque temps fort agitées de savoir si c’était une marquise authentique et non une aventurière que cette Mme  de Villeparisis qu’on traitait avec tant d’égards, desquels toutes ces dames brûlaient d’apprendre qu’elle était indigne. Quand Mme  de Villeparisis traversait le hall, la femme du premier président, qui flairait partout des irrégulières, levait son nez sur son ouvrage et la regardait d’une façon qui faisait mourir de rire ses amies.

— Oh ! moi, vous savez, disait-elle avec orgueil, je commence toujours par croire le mal. Je ne consens à admettre qu’une femme est vraiment mariée que quand on m’a sorti les extraits de naissance et les actes notariés. Du reste, n’ayez crainte, je vais procéder à ma petite enquête.

Et chaque jour toutes ces dames accouraient en riant.

— Nous venons aux nouvelles.

Mais le soir de la visite de la princesse de Luxembourg, la femme du Premier mit un doigt sur sa bouche.

— Il y a du nouveau.

— Oh ! elle est extraordinaire, Mme  Poncin ! je n’ai jamais vu… mais dites, qu’y a-t-il ?

— Eh bien, il y a qu’une femme aux cheveux jaunes, avec un pied de rouge sur la figure, une voiture qui sentait l’horizontale d’une lieue, et comme n’en ont que ces demoiselles, est venue tantôt pour voir la prétendue marquise.

— Ouil you uouil ! patatras ! Voyez-vous ça ! mais c’est cette dame que nous avons vue, vous vous rappelez, bâtonnier ; nous avons bien trouvé qu’elle marquait très mal mais nous ne savions pas qu’elle était venue pour la marquise. Une femme avec un nègre, n’est-ce pas ?