Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 7.djvu/46

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Borelli, Schlumberger ou d’Avenel. Mais alors ce sera M. Pierre Loti ou Edmond Rostand. Hier soir, chez les Doudeauville, où, entre parenthèses, elle était splendide sous son diadème d’émeraudes, dans une grande robe rose à queue, elle avait d’un côté d’elle M. Deschanel, de l’autre l’ambassadeur d’Allemagne : elle leur tenait tête sur la Chine ; le gros public, à distance respectueuse, et qui n’entendait pas ce qu’ils disaient, se demandait s’il n’y allait pas y avoir la guerre. Vraiment on aurait dit une reine qui tenait le cercle.

Chacun s’était rapproché de Mme de Villeparisis pour la voir peindre.

— Ces fleurs sont d’un rose vraiment céleste, dit Legrandin, je veux dire couleur de ciel rose. Car il y a un rose ciel comme il y a un bleu ciel. Mais, murmura-t-il pour tâcher de n’être entendu que de la marquise, je crois que je penche encore pour le soyeux, pour l’incarnat vivant de la copie que vous en faites. Ah ! vous laissez bien loin derrière vous Pisanello et Van Huysun, leur herbier minutieux et mort.

Un artiste, si modeste qu’il soit, accepte toujours d’être préféré à ses rivaux et tâche seulement de leur rendre justice.

— Ce qui vous fait cet effet-là, c’est qu’ils peignaient des fleurs de ce temps-là que nous ne connaissons plus, mais ils avaient une bien grande science.

— Ah ! des fleurs de ce temps-là, comme c’est ingénieux, s’écria Legrandin.

— Vous peignez en effet de belles fleurs de cerisier… ou de roses de mai, dit l’historien de la Fronde non sans hésitation quant à la fleur, mais avec de l’assurance dans la voix, car il commençait à oublier l’incident des chapeaux.

— Non, ce sont des fleurs de pommier, dit la duchesse de Guermantes en s’adressant à sa tante.

— Ah ! je vois que tu es une bonne campagnarde ; comme moi, tu sais distinguer les fleurs.