Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 7.djvu/47

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— Ah ! oui, c’est vrai ! mais je croyais que la saison des pommiers était déjà passée, dit au hasard l’historien de la Fronde pour s’excuser.

— Mais non, au contraire, ils ne sont pas en fleurs, ils ne le seront pas avant une quinzaine, peut-être trois semaines, dit l’archiviste qui, gérant un peu les propriétés de Mme de Villeparisis, était plus au courant des choses de la campagne.

— Oui, et encore dans les environs de Paris où ils sont très en avance. En Normandie, par exemple, chez son père, dit-elle en désignant le duc de Châtellerault, qui a de magnifiques pommiers au bord de la mer, comme sur un paravent japonais, ils ne sont vraiment roses qu’après le 20 mai.

— Je ne les vois jamais, dit le jeune duc, parce que ça me donne la fièvre des foins, c’est épatant.

— La fièvre des foins, je n’ai jamais entendu parler de cela, dit l’historien.

— C’est la maladie à la mode, dit l’archiviste.

— Ça dépend, cela ne vous donnerait peut-être rien si c’est une année où il y a des pommes. Vous savez le mot du Normand. Pour une année où il y a des pommes… dit M. d’Argencourt, qui n’étant pas tout à fait français, cherchait à se donner l’air parisien.

— Tu as raison, répondit à sa nièce Mme de Villeparisis, ce sont des pommiers du Midi. C’est une fleuriste qui m’a envoyé ces branches-là en me demandant de les accepter. Cela vous étonne, monsieur Vallenères, dit-elle en se tournant vers l’archiviste, qu’une fleuriste m’envoie des branches de pommier ? Mais j’ai beau être une vieille dame, je connais du monde, j’ai quelques amis, ajouta-t-elle en souriant par simplicité, crut-on généralement, plutôt, me sembla-t-il, parce qu’elle trouvait du piquant à tirer vanité de l’amitié d’une fleuriste quand on avait d’aussi grandes relations.