Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/129

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Le duc attacha sur sa femme un long regard de stupéfaction voulue. Mme de Guermantes se mit à rire. La princesse finit par s’en apercevoir.

— Mais… est-ce que vous n’êtes pas… de mon avis ?… demanda-t-elle avec inquiétude.

— Mais Madame est trop bonne de s’occuper des mines de Basin. Allons, Basin, n’ayez pas l’air d’insinuer du mal de nos parents.

— Il la trouve trop méchante ? demanda vivement la princesse.

— Oh ! pas du tout, répliqua la duchesse. Je ne sais pas qui a dit à Votre Altesse qu’elle était médisante. C’est au contraire une excellente créature qui n’a jamais dit du mal de personne, ni fait de mal à personne.

— Ah ! dit Mme de Parme soulagée, je ne m’en étais pas aperçue non plus. Mais comme je sais qu’il est souvent difficile de ne pas avoir un peu de malice quand on a beaucoup d’esprit…

— Ah ! cela par exemple elle en a encore moins.

— Moins d’esprit ?… demanda la princesse stupéfaite.

— Voyons, Oriane, interrompit le duc d’un ton plaintif en lançant autour de lui à droite et à gauche des regards amusés, vous entendez que la princesse vous dit que c’est une femme supérieure.

— Elle ne l’est pas ?

— Elle est au moins supérieurement grosse.

— Ne l’écoutez pas, Madame, il n’est pas sincère ; elle est bête comme un (heun) oie, dit d’une voix forte et enrouée Mme de Guermantes, qui, bien plus vieille France encore que le duc quand il n’y tâchait pas, cherchait souvent à l’être, mais d’une manière opposée au genre jabot de dentelles et déliquescent de son mari et en réalité bien plus fine, par une sorte de prononciation presque paysanne qui avait une âpre et délicieuse saveur terrienne. « Mais c’est la meilleure femme