faite et première qualité du mets social, au goût familier, rassurant et sapide, sans mélange, non frelaté, dont ils savaient l’origine et l’histoire aussi bien que celle qui la leur servait, restés plus « nobles » en cela qu’ils ne le savaient eux-mêmes. Or, parmi ces visiteurs auxquels je fus présenté après dîner, le hasard fit qu’il y eut ce général de Monserfeuil dont avait parlé la princesse de Parme et que Mme de Guermantes, du salon de qui il était un des habitués, ne savait pas devoir venir ce soir-là. Il s’inclina devant moi, en entendant mon nom, comme si j’eusse été président du Conseil supérieur de la guerre. J’avais cru que c’était simplement par quelque inserviabilité foncière, et pour laquelle le duc, comme pour l’esprit, sinon pour l’amour, était le complice de sa femme, que la duchesse avait presque refusé de recommander son neveu à M. de Monserfeuil. Et je voyais là une indifférence d’autant plus coupable que j’avais cru comprendre par quelques mots échappés à la princesse de Parme que le poste de Robert était dangereux et qu’il était prudent de l’en faire changer. Mais ce fut par la véritable méchanceté de Mme de Guermantes que je fus révolté quand, la princesse de Parme ayant timidement proposé d’en parler d’elle-même et pour son compte au général, la duchesse fit tout ce qu’elle put pour en détourner l’Altesse.
— Mais Madame, s’écria-t-elle, Monserfeuil n’a aucune espèce de crédit ni de pouvoir avec le nouveau gouvernement. Ce serait un coup d’épée dans l’eau.
— Je crois qu’il pourrait nous entendre, murmura la princesse en invitant la duchesse à parler plus bas.
— Que Votre Altesse ne craigne rien, il est sourd comme un pot, dit sans baisser la voix la duchesse, que le général entendit parfaitement.
— C’est que je crois que M. de Saint-Loup n’est pas dans un endroit très rassurant, dit la princesse.