êtes un grand connaisseur, venez voir quelque chose ; après ça, mes petits, je vais vous demander la permission de vous laisser ensemble un instant pendant que je vais passer un habit ; du reste je pense qu’Oriane ne va pas tarder. » Et il montra son « Vélasquez » à Swann. « Mais il me semble que je connais ça », fit Swann avec la grimace des gens souffrants pour qui parler est déjà une fatigue. « Oui, dit le duc rendu sérieux par le retard que mettait le connaisseur à exprimer son admiration. Vous l’avez probablement vu chez Gilbert.
— Ah ! en effet, je me rappelle.
— Qu’est-ce que vous croyez que c’est ?
— Eh bien, si c’était chez Gilbert, c’est probablement un de vos ancêtres, dit Swann avec un mélange d’ironie et de déférence envers une grandeur qu’il eût trouvé impoli et ridicule de méconnaître, mais dont il ne voulait, par bon goût, parler qu’en « se jouant ».
— Mais bien sûr, dit rudement le duc. C’est Boson, je ne sais plus quel numéro, de Guermantes. Mais ça, je m’en fous. Vous savez que je ne suis pas aussi féodal que mon cousin. J’ai entendu prononcer le nom de Rigaud, de Mignard, même de Vélasquez ! » dit le duc en attachant sur Swann un regard et d’inquisiteur et de tortionnaire, pour tâcher à la fois de lire dans sa pensée et d’influencer sa réponse. « Enfin, conclut-il, car, quand on l’amenait à provoquer artificiellement une opinion qu’il désirait, il avait la faculté, au bout de quelques instants, de croire qu’elle avait été spontanément émise ; voyons, pas de flatterie. Croyez-vous que ce soit d’un des grands pontifes que je viens de dire ?
— Nnnnon, dit Swann.
— Mais alors, enfin moi je n’y connais rien, ce n’est pas à moi de décider de qui est ce croûton-là. Mais vous, un dilettante, un maître en la matière, à qui l’attribuez-