Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

membre de la Patrie française, c’est qu’il était plus intelligent. « Vous le voyez quelquefois ? » dis-je à Swann en parlant de Saint-Loup.

— Non, jamais. Il m’a écrit l’autre jour pour que je demande au duc de Mouchy et à quelques autres de voter pour lui au Jockey, où il a du reste passé comme une lettre à la poste.

— Malgré l’Affaire !

— On n’a pas soulevé la question. Du reste je vous dirai que, depuis tout ça, je ne mets plus les pieds dans cet endroit.

M. de Guermantes rentra, et bientôt sa femme, toute prête, haute et superbe dans une robe de satin rouge dont la jupe était bordée de paillettes. Elle avait dans les cheveux une grande plume d’autruche teinte de pourpre et sur les épaules une écharpe de tulle du même rouge. « Comme c’est bien de faire doubler son chapeau de vert, dit la duchesse à qui rien n’échappait. D’ailleurs, en vous, Charles, tout est joli, aussi bien ce que vous portez que ce que vous dites, ce que vous lisez et ce que vous faites. » Swann, cependant, sans avoir l’air d’entendre, considérait la duchesse comme il eût fait d’une toile de maître et chercha ensuite son regard en faisant avec la bouche la moue qui veut dire : « Bigre ! » Mme de Guermantes éclata de rire. « Ma toilette vous plaît, je suis ravie. Mais je dois dire qu’elle ne me plaît pas beaucoup, continua-t-elle d’un air maussade. Mon Dieu, que c’est ennuyeux de s’habiller, de sortir quand on aimerait tant rester chez soi ! »

— Quels magnifiques rubis !

— Ah ! mon petit Charles, au moins on voit que vous vous y connaissez, vous n’êtes pas comme cette brute de Beauserfeuil qui me demandait s’ils étaient vrais. Je dois dire que je n’en ai jamais vu d’aussi beaux. C’est un cadeau de la grande-duchesse. Pour mon goût ils sont un peu gros, un peu verre à bor-