Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/144

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par lui des messes à l’intention de Dreyfus, de sa malheureuse femme et de ses enfants. Sur ces entrefaites, un matin que j’allais chez la Princesse, je vis sa femme de chambre qui cachait quelque chose qu’elle avait dans la main. Je lui demandai en riant ce que c’était, elle rougit et ne voulut pas me le dire. J’avais la plus grande confiance dans ma femme, mais cet incident me troubla fort (et sans doute aussi la Princesse à qui sa camériste avait dû le raconter), car ma chère Marie me parla à peine pendant le déjeuner qui suivit. Je demandai ce jour-là à l’abbé Poiré s’il pourrait dire le lendemain ma messe pour Dreyfus. » Allons, bon ! s’écria Swann à mi-voix en s’interrompant.

Je levai la tête et vis le duc de Guermantes qui venait à nous. « Pardon de vous déranger, mes enfants. Mon petit, dit-il en s’adressant à moi, je suis délégué auprès de vous par Oriane. Marie et Gilbert lui ont demandé de rester à souper à leur table avec cinq ou six personnes seulement : la princesse de Hesse, Mme  de Ligne, Mme  de Tarente, Mme  de Chevreuse, la duchesse d’Arenberg. Malheureusement, nous ne pouvons pas rester, parce que nous allons à une espèce de petite redoute. » J’écoutais, mais chaque fois que nous avons quelque chose à faire à un moment déterminé, nous chargeons nous-mêmes un certain personnage habitué à ce genre de besogne de surveiller l’heure et de nous avertir à temps. Ce serviteur interne me rappela, comme je l’en avais prié il y a quelques heures, qu’Albertine, en ce moment bien loin de la pensée, devait venir chez moi aussitôt après le théâtre. Aussi, je refusai le souper. Ce n’est pas que je ne me plusse chez la princesse de Guermantes. Ainsi les hommes peuvent avoir plusieurs sortes de plaisirs. Le véritable est celui pour lequel ils quittent l’autre. Mais ce dernier, s’il est apparent, ou même seul