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Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/281

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une jeune fille dire : « ma tante d’Uzai », « mon onk de Rouan », elle n’avait pas reconnu immédiatement les noms illustres qu’elle avait l’habitude de prononcer : Uzès et Rohan ; elle avait eu l’étonnement, l’embarras et la honte de quelqu’un qui a devant lui à table un instrument nouvellement inventé dont il ne sait pas l’usage et dont il n’ose pas commencer à manger. Mais, la nuit suivante et le lendemain, elle avait répété avec ravissement : « ma tante d’Uzai » avec cette suppression de l’s finale, suppression qui l’avait stupéfaite la veille, mais qu’il lui semblait maintenant si vulgaire de ne pas connaître qu’une de ses amies lui ayant parlé d’un buste de la duchesse d’Uzès, Mlle Legrandin lui avait répondu avec mauvaise humeur, et d’un ton hautain : « Vous pourriez au moins prononcer comme il faut : Mame d’Uzai. » Dès lors elle avait compris qu’en vertu de la transmutation des matières consistantes en éléments de plus en plus subtils, la fortune considérable et si honorablement acquise qu’elle tenait de son père, l’éducation complète qu’elle avait reçue, son assiduité à la Sorbonne, tant aux cours de Caro qu’à ceux de Brunetière, et aux concerts Lamoureux, tout cela devait se volatiliser, trouver sa sublimation dernière dans le plaisir de dire un jour : « ma tante d’Uzai ». Il n’excluait pas de son esprit qu’elle continuerait à fréquenter, au moins dans les premiers temps qui suivraient son mariage, non pas certaines amies qu’elle aimait et qu’elle était résignée à sacrifier, mais certaines autres qu’elle n’aimait pas et à qui elle voulait pouvoir dire (puisqu’elle se marierait pour cela) : « Je vais vous présenter à ma tante d’Uzai », et quand elle vit que cette alliance était trop difficile : « Je vais vous présenter à ma tante de Ch’nouville » et : « Je vous ferai dîner avec les Uzai. » Son mariage avec M. de Cambremer avait procuré à Mlle Legrandin