Page:Proust - Albertine disparue.djvu/239

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parler de ces choses. — Mais, ma petite Andrée, pourquoi mentir encore ? Par le plus grand des hasards, car je ne cherche jamais à rien connaître, j’ai appris, jusque dans les détails les plus précis, des choses de ce genre qu’Albertine faisait, je peux vous préciser, au bord de l’eau, avec une blanchisseuse, quelques jours à peine avant sa mort. — Ah ! peut-être après vous avoir quitté, cela je ne sais pas. Elle sentait qu’elle n’avait pu, ne pourrait plus jamais regagner votre confiance. » Ces derniers mots m’accablèrent. Puis je repensai au soir de la branche de seringa, je me rappelai qu’environ quinze jours après, comme ma jalousie changeait successivement d’objet, j’avais demandé à Albertine si elle n’avait jamais eu de relations avec Andrée, et qu’elle m’avait répondu : « Oh ! jamais, certes j’adore Andrée ; j’ai pour elle une affection profonde, mais comme pour une sœur, et même si j’avais les goûts que vous semblez croire, c’est la dernière personne à qui j’aurais pensé pour cela. Je peux vous le jurer sur tout ce que vous voudrez, sur ma tante, sur la tombe de ma pauvre mère. » Je l’avais crue. Et pourtant, même si je n’avais pas été mis en méfiance par la contradiction entre ses demi-aveux d’autrefois relativement à certaines choses et la netteté avec laquelle elle les avait niées ensuite dès qu’elle avait vu que cela ne m’était pas égal, j’aurais dû me rappeler Swann persuadé du platonisme des amitiés de M. de Charlus et me l’affirmant le soir même du jour où j’avais vu le giletier et le baron dans la cour. J’aurais dû penser qu’il y a l’un devant l’autre deux mondes, l’un constitué par les choses que les êtres les meilleurs, les plus sincères, disent, et derrière lui le monde composé par la succession de ce que ces mêmes êtres font ; si bien que quand une femme mariée vous dit d’un jeune homme : « Oh ! c’est parfaitement vrai que j’ai une immense amitié pour lui, mais c’est quelque chose de très innocent, de très