Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je me demande, par moments, si ce qu’il y a encore de mieux dans l’œuvre de Sainte-Beuve, ce ne sont pas ses vers. Tout jeu de l’esprit a cessé. Les choses ne sont plus approchées de biais avec mille adresses et prestiges. Le cercle infernal et magique est rompu. Comme si le mensonge constant de la pensée tenait chez lui à l’habileté factice de l’expression, en cessant de parler en prose il cesse de mentir. Comme un étudiant, obligé de traduire sa pensée en latin, est obligé de la mettre à nu, Sainte-Beuve se trouve pour la première fois en présence de la réalité, et en reçoit un sentiment direct. Il y a plus de sentiment direct dans les Rayons jaunes, dans les Larmes de Racine, dans tous ses vers, que dans sa prose. Seulement si le mensonge l’abandonne, tous ses avantages l’abandonnent aussi. Comme un homme habitué à l’alcool et qu’on met au régime du lait, il perd, avec sa vigueur factice, toute sa force. «  Cet être, comme il est gauche et laid.  » Il n’y a rien de plus