Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/129

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touchant que cette pauvreté de moyens chez le grand et prestigieux critique, rompu à toutes les élégances, les finesses, les farces, les attendrissements, les démarches, les caresses de style. Plus rien. De son immense culture, de ses exercices de lettré, il lui reste seulement le rejet de toute enflure, de toute banalité, de toute expression peu contrôlée, et les images sont recherchées et sévèrement choisies, avec quelque chose qui rappelle le studieux et l’exquis des vers d’un André Chénier ou d’un Anatole France. Mais tout cela est voulu et pas à lui. Il cherche à faire ce qu’il a admiré chez Théocrite, chez Cooper, chez Racine. De lui, de lui inconscient, profond, personnel, il n’y a guère que la gaucherie. Elle revient souvent, comme le naturel. Mais ce peu de chose, ce peu de chose charmant et sincère d’ailleurs qu’est sa poésie, cet effort savant et quelquefois heureux pour exprimer la pureté de l’amour, la tristesse des fins d’après-midi dans les grandes villes, la magie des souvenirs, l’émotion des lectures, la mélancolie des vieillesses incrédules, montre – parce qu’on sent que c’est la seule chose réelle en lui – l’absence de signification de toute une œuvre critique merveilleuse, immense, bouillonnante – puisque toutes ces merveilles se ramènent à cela. Apparence, les Lundis. Réalité, ce peu de vers. Les vers d’un critique, c’est le poids à la balance de l’éternité de toute son œuvre.