Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/159

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Tout comme si j’étais votre père, ô merveille !
Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins.

Et c’est ce qui fait qu’aimer Baudelaire –, comme dirait Sainte-Beuve, dont je m’interdis de prendre à mon compte cette formule comme j’en avais été souvent tenté, pour ôter de ce projet d’article tout jeu d’esprit, mais ici ce n’est pas pastiche, c’est une remarque que j’ai faite, où les noms me viennent à la mémoire ou aux lèvres, et qui s’impose à moi en ce moment – aimer Baudelaire, j’entends l’aimer même à la folie en ces poèmes si pitoyables et humains, n’est pas forcément signe d’une grande sensibilité. Il a donné de ces visions qui, au fond, lui avaient fait mal, j’en suis sûr, un tableau si puissant, mais d’où toute expression de sensibilité est si absente, que des esprits purement ironiques et amoureux de couleur, des cœurs vraiment durs peuvent s’en délecter. Les vers sur ces Petites Vieilles :

Débris d’humanité pour l’éternité mûrs


est un vers sublime et que de grands esprits, de grands cœurs aiment à citer. Mais que de fois je l’ai entendu citer, et pleinement goûté, par une femme d’une extrême intelligence, mais la plus inhumaine, la plus dénuée de bonté et de moralité que j’aie rencontrée, et qui s’amusait, le mêlant