Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/17

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mais l’axe du monde avait été déplacé. Ce monde de l’ancienne loi, j’y rentrais aisément en dormant, je ne m’éveillais qu’au moment où, ayant vainement essayé d’échapper au pauvre curé, mort après tant d’années, je sentais mes boucles vivement tirées derrière ma tête. Et avant de me rendormir, me rappelant bien que le curé était mort et que j’avais les cheveux courts, j’avais tout de même soin de me cimenter avec l’oreiller, la couverture, mon mouchoir et le mur un nid protecteur, avant de rentrer dans ce monde bizarre où tout de même le curé vivait et j’avais des boucles.

Des sensations qui, elles aussi, ne reviendront plus qu’en rêve, caractérisent les années qui s’en vont et, si peu poétiques qu’elles soient, se chargent de toute la poésie de cet âge, comme rien n’est si plein du son des cloches de Pâques et des premières violettes que ces derniers froids de l’année qui gâtent nos vacances et forcent à faire du feu pour le déjeuner. De ces sensations, qui revenaient alors quelquefois dans mon sommeil, je n’oserais pas parler si elles n’y étaient apparues presque poétiques, détachées de toute ma vie présente, blanches comme ces fleurs d’eau dont la racine ne tient pas à la terre. La Rochefoucauld a dit que nos premières amours seules sont involontaires. Il en est ainsi aussi de ces plaisirs solitaires, qui plus tard ne nous servent qu’à tromper l’absence d’une femme, à nous figurer qu’elle est avec nous. Mais à douze ans, quand j’allais m’enfermer pour la première fois