Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/174

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Je pense à toutes ces choses, et comme il dit à bien d’autres encore, et je ne peux pas penser qu’il a été tout de même un grand critique, celui qui, ayant parlé si abondamment de tant d’imbéciles, bien disposé d’ailleurs pour Baudelaire, ayant sans cesse l’esprit attiré vers sa production qu’il prétendait d’ailleurs voisine de la sienne (Joseph Delorme, ce sont Les Fleurs du Mal avant la lettre), a écrit sur lui seulement quelques lignes où en dehors d’un trait d’esprit (« Kamtchatka littéraire » et « Folie Baudelaire »), il n’y a que ceci qui peut s’appliquer aussi bien à beaucoup de conducteurs de cotillons : « Gentil garçon, gagne à être connu, poli, fait bonne impression. »

Encore est-il un de ceux, à cause tout de même de sa merveilleuse intelligence, qui l’ont le mieux compris. Lui qui a lutté toute sa vie contre la misère et la calomnie, quand il est mort, on l’avait tellement représenté à sa mère comme un fou et un pervers qu’elle fut stupéfaite et ravie d’une lettre de Sainte-Beuve qui lui parlait de son fils comme d’un homme intelligent et bon. Le pauvre Baudelaire avait dû lutter toute sa vie contre le mépris de tous. Mais

Les vastes éclairs de son esprit lucide
Lui dérobaient l’aspect des peuples furieux.