Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Furieux jusqu’au bout  : quand il était paralysé, sur ce lit de souffrances où la négresse, qui avait été sa seule passion, venait le relancer par ses demandes d’argent, il fallait que les pauvres mots d’impatience contre le mal, mal prononcés par sa bouche aphasique, aient paru des impiétés et des blasphèmes à la supérieure du couvent où il était soigné et qu’il dut quitter. Mais comme Gérard, il jouait avec le vent, causait avec le nuage, s’enivrait en chantant du chemin de la croix. Comme Gérard qui demandait qu’on dise à ses parents qu’il était intelligent. C’est à cette époque de sa vie que Baudelaire avait ces grands cheveux blancs qui lui donnaient l’air, disait-il, « d’un académicien (à l’étranger !) ». Il a surtout sur ce dernier portrait une ressemblance fantastique avec Hugo, Vigny et Leconte de Lisle, comme si tous les quatre n’étaient que des épreuves un peu différentes d’un même visage, du visage de ce grand poète qui au fond est un, depuis le commencement du monde, dont la vie intermittente, aussi longue que celle de l’humanité, eut en ce siècle ses heures tourmentées et cruelles, que nous appelons vie de Baudelaire, ses heures laborieuses et sereines, que nous appelons vie de Hugo, ses heures vagabondes et innocentes que nous appelons vie de Gérard et peut-être de Francis Jammes, ses égarements et abaissements sur des buts d’ambition étrangers à