Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/180

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lui arrive malheur.  » Et chaque fois qu’il veut dissimuler cette vulgarité, il a cette distinction des gens vulgaires, qui est comme ces poses sentimentales, ces doigts précieusement appuyés sur le front qu’ont d’affreux gros boursiers dans leur voiture au Bois. Alors il dit «  chère  », ou mieux «  cara  », «  addio  » pour adieu, etc.

Tu as quelquefois trouvé Flaubert vulgaire par certains côtés dans sa correspondance. Mais lui du moins n’a rien de la vulgarité, car lui a compris que le but de la vie de l’écrivain est dans son œuvre, et que le reste n’existe «  que pour l’emploi d’une illusion à décrire  ». Balzac met tout à fait sur le même plan les triomphes de la vie et de la littérature. «  Si je ne suis pas grand par La Comédie humaine, écrit-il à sa sœur, je le serai par cette réussite  » (la réussite du mariage avec Mme Hanska).

Mais, vois-tu, cette vulgarité même est peut-être la cause de la force de certaines de ses peintures. Au fond, même dans ceux d’entre nous chez qui c’est précisément l’élévation, de ne pas vouloir admettre les mobiles vulgaires, de les condamner, de les épurer, ils peuvent exister, transfigurés. En tout cas même quand l’ambitieux a un amour idéal, même s’il n’y transfigure pas des pensées