Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/181

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d’ambition, hélas  ! cet amour n’est pas toute sa vie, ce n’est souvent qu’un moment meilleur de sa jeunesse. C’est avec cette partie-là de lui-même seulement qu’un écrivain fait un livre. Mais il y a toute une partie qui se trouve exclue. Aussi quelle force de vérité trouvons-nous à voir un tendre amour de Rastignac, un tendre amour de Vandenesse, et à savoir que ce Rastignac, ce Vandenesse, ce sont de froids ambitieux, dont toute la vie a été calcul et ambition, et où ce roman de leur jeunesse (oui, presque plus un roman de leur jeunesse qu’un roman de Balzac) est oublié, où ils ne s’y reportent qu’en souriant, avec le sourire de ceux qui ont vraiment oublié, où les autres et l’acteur même parlent de l’aventure avec Mme de Mortsauf comme d’une aventure quelconque et sans même la tristesse qu’elle n’ait pas rempli de son souvenir toute leur vie. Pour donner à ce point le sentiment de la vie selon le monde et l’expérience, c’est-à-dire celle où il est convenu que l’amour ne dure pas, que c’est une erreur de jeunesse, que l’ambition et la chair y ont bien leur part, que tout cela ne paraîtra pas grand-chose un jour, etc., pour montrer que le sentiment le plus idéal peut n’être qu’un prisme où l’ambitieux transfigure pour lui-même son ambition, en le montrant d’une façon peut-être inconsciente, mais la plus saisissante, c’est-à-dire en montrant objectivement comme le plus sec aventurier l’homme qui pour lui-même, à ses propres yeux, subjectivement, se croit un