Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/203

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détermina chez tous ce mouvement que les journalistes peignent ainsi dans les discours parlementaires  : Profonde sensation.  » Balzac veut-il par là nous retracer le succès qu’eut le récit de de Marsay, le succès qu’il eut, lui Balzac, dans cette soirée à laquelle nous n’avons pas assisté  ? Cède-t-il tout simplement à l’admiration que lui inspirent les traits échappés à sa plume  : il y a peut-être des deux. J’ai un ami, un des rares authentiquement géniaux que j’aie connus, et doué d’un magnifique orgueil balzacien. Redisant pour moi une conférence qu’il avait faite dans un théâtre et à laquelle je n’avais pas assisté, il s’interrompait de temps à autre pour claquer des mains là où le public avait applaudi. Mais il y mettait une telle fureur, une telle verve, un tel prolongement que je crois bien que plutôt que de me peindre fidèlement la séance, comme Balzac il s’applaudissait lui-même.

Mais précisément tout cela plaît à ceux qui aiment Balzac  ; ils se redisent en souriant  : «  le prénom ignoble d’Amélie  », «  biblique, répéta Fifine étonnée  », «  la princesse de Cadignan était une des femmes les plus fortes sur la toilette  ». Aimer Balzac  ! Sainte-Beuve qui aimait tant définir ce que c’était que d’aimer quelqu’un aurait eu là un joli morceau à faire. Car les autres romanciers, on les aime en se soumettant à eux, on reçoit d’un