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CHAMBRES


Si parfois je reprenais aisément en dormant cet âge où l’on a des craintes et des plaisirs aujourd’hui inexistants, le plus souvent je dormais à peu près aussi obscurément que pouvaient faire le lit, les fauteuils, toute la chambre. Et je m’éveillais seulement le temps que, petite partie du tout dormant, je puisse prendre un instant conscience du sommeil total et le savourer, entendre les craquements des boiseries qu’on ne perçoit que quand la chambre dort, fixer le kaléidoscope de l’obscurité et retourner bien vite m’unir à cette insensibilité de mon lit contre lequel j’étendais mes membres comme une vigne contre un espalier. Je n’étais dans ces courts réveils-là que ce que seraient une pomme ou un pot de confiture, qui, sur la planche où ils sont placés, seraient appelés un instant à une vague conscience, et qui, ayant constaté qu’il fait noir dans le buffet et que le bois joue, n’auraient rien de plus pressé que de retourner à la