Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/21

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chapeau de paille avait poussé entre les pruniers bleus. Il saluait mon oncle qui devait le connaître et nous faisait signe de ne pas faire de bruit. Mais pourtant je n’ai jamais su qui c’était, je ne l’ai jamais rencontré dans la ville et tandis que même le chanteur, le suisse et les enfants de chœur avaient, comme les dieux de l’Olympe, une existence moins glorieuse où j’avais affaire à eux, comme maréchal-ferrant, crémier et fils de l’épicière, en revanche, comme je n’ai jamais vu que jardinant le petit jardinier en stuc qu’il y avait dans le jardin du notaire, je n’ai jamais vu le pêcheur que pêchant, à la saison où le chemin s’était touffu de feuilles des pruniers, de sa veste d’alpaga et de son chapeau de paille, à l’heure où même les cloches et les nuages flânent avec désœuvrement dans le ciel vide, où les carpes ne peuvent plus soutenir l’ennui de l’heure, et dans un étouffement nerveux sautent passionnément en l’air dans l’inconnu, où les gouvernantes regardent leur montre pour dire qu’il n’est pas encore l’heure de goûter.