Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/233

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Le seul progrès que j’aie pu faire à ce point de vue depuis mon enfance, et le seul point par où, si l’on veut, je me distingue de M. de Guermantes, c’est que ce monde inchangeable, ce bloc dont on ne peut rien distraire, cette réalité donnée, j’en ai un peu étendu les bornes, ce n’est plus pour moi un seul livre, c’est l’œuvre d’un auteur. Je ne sais pas voir entre ses différents ouvrages de bien grandes différences. Les critiques qui trouvent comme M. Faguet que Balzac a écrit dans Un Ménage de Garçon un chef-d’œuvre, et dans Le Lys dans la Vallée le plus mauvais ouvrage qui soit, m’étonnent autant que Mme de Guermantes, qui trouvait que certains soirs le duc de X… avait été intelligent et que tel autre jour il avait été bête. Moi, l’idée que je me fais de l’intelligence des gens change quelquefois, mais je sais bien que c’est mon idée qui change et non leur intelligence. Et je ne crois pas que cette intelligence soit une force changeante, que Dieu fait quelquefois puissante et quelquefois faible. Je crois que la hauteur à laquelle elle s’élève dans l’esprit est constante et que c’est précisément à cette hauteur-là, que ce soit Un Ménage de Garçon ou Le Lys dans la Vallée, qu’elle s’élève dans ces vases qui communiquent avec le passé et qui sont les Œuvres

Cependant, si M. de Guermantes trouvait «  charmants  », c’est-à-dire en réalité distrayants et sans