Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/236

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bien que lui  ? On me dit  : c’est bien cela, la vie en province. Certainement, mais je la connais, j’y ai vécu, alors quel intérêt cela a-t-il  ?   » Et si fière de ce raisonnement, auquel elle tenait beaucoup, qu’un sourire d’orgueil venait briller dans ses yeux qu’elle tournait vers les personnes présentes, et pour mettre fin à l’orage, elle ajoutait  : «  Vous me trouverez peut-être bien sotte, mais j’avoue que quand je lis un livre, j’ai la faiblesse d’aimer qu’il m’apprenne quelque chose.  » On en avait pour deux mois à raconter jusque chez les cousines les plus éloignées de la comtesse, que ce jour-là, chez les Guermantes, ç’avait été tout ce qu’il y a de plus intéressant.

Car pour un écrivain, quand il lit un livre, l’exactitude de l’observation sociale, le parti pris de pessimisme, ou d’optimisme, sont des conditions données qu’il ne discute pas, dont il ne s’aperçoit même pas. Mais pour les lecteurs «  intelligents  », le fait que cela soit «  faux  » ou «  triste  » est comme un défaut personnel de l’écrivain, qu’ils sont étonnés et assez enchantés de retrouver, et même exagéré, dans chaque volume de lui, comme s’il n’avait pas pu s’en corriger, et qui finissent par lui donner à leurs yeux le caractère antipathique d’une personne sans jugement ou qui porte aux idées noires et qu’il est préférable de ne pas fréquenter, si bien que chaque fois que le libraire leur présente un Balzac ou un Eliot, ils répondent en le repoussant  : «  Oh  ! non, c’est toujours faux, ou