Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/244

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vité. Ils n’attachaient aucune importance à ce que j’y allasse on n’y allasse pas, mais ne voulaient pas que je m’habitue à croire qu’on voulait me faire des farces. Ils trouvaient plus «  aimable  » d’y aller  ! Mais d’ailleurs indifférent, trouvant qu’il ne fallait pas s’attribuer d’importance et que mon absence serait inaperçue, mais que d’autre part, ces gens n’avaient pas de raison de m’inviter si cela ne leur avait pas fait plaisir de m’avoir. D’autre part, mon grand-père n’était pas fâché que je lui dise comment cela se passait chez les Guermantes depuis qu’il savait que la Princesse était la petite-fille du plus grand homme d’Etat de Louis XVIII, et Papa de savoir si, comme il le supposait, cela devait être «  superbe à l’intérieur  ».

Bref, le soir même, je me décidai. On avait pris de mes affaires un soin particulier. Je voulais me commander une boutonnière chez le fleuriste mais ma grand-mère trouvait qu’une rose de jardin serait plus «  naturelle  ». Après avoir marché sur un massif en pente et en piquant mon habit aux épines des autres, je coupai la plus belle, et je sautai dans l’omnibus qui passait devant la porte, trouvant plus de plaisir encore que d’habitude à être aimable avec le conducteur et à céder ma place à l’intérieur à une vieille dame, en me disant que ce monsieur qui était si charmant avec eux et qui dirait «  Arrêtez-moi au pont de Solferino  » sans qu’on sût que c’était pour aller chez la princesse de Guermantes avait une belle rose