Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/243

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palais de conte de fées qui, par le fait de cette carte reçue, devenait un objet de possession possible, de par une sorte de prédilection flatteuse du nom mystérieux pour moi. Cela me sembla trop beau pour être vrai. Il y avait entre l’intention qu’exprimait, l’offre que manifestait l’adresse, et ce nom aux syllabes douces et fières, un trop grand contraste.

L’hôtel de conte de fées s’ouvrant de lui-même devant moi, moi étant invité à me mêler aux êtres de légende, de lanterne magique, de vitrail et de tapisserie qui faisaient pendre haut et court au IXe siècle, ce fier nom de Guermantes semblant s’animer, me connaître, se tendre vers moi, puisque, enfin, c’était bien mon nom et superbement écrit qui était sur l’enveloppe, tout cela me parut trop beau pour être vrai et j’eus peur que ce fût une mauvaise plaisanterie que quelqu’un m’avait faite. Les seules personnes auprès de qui j’eusse pu me renseigner auraient été nos voisins Guermantes, qui étaient en voyage, et dans le doute j’aimais mieux ne pas aller chez eux. Il n’y avait pas à répondre, il n’y aurait eu qu’à mettre des cartes. Mais je craignais que ce ne fût déjà trop, si, comme je le pensais, j’étais victime d’une mauvaise farce. Je le dis à mes parents qui ne comprirent pas (ou trouvèrent mon idée ridicule). Avec cette espèce d’orgueil que donne l’absence entière de vanité et de snobisme, ils trouvaient la chose du monde la plus naturelle que les Guermantes m’eussent in-