Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/246

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vieux monsieur. Donc ou bien le vieux monsieur est une hallucination et il faut m’asseoir dans ce fauteuil qui est vide, ou c’est la maîtresse de maison qui me tend ce fauteuil qui est une hallucination, et il ne faut pas que je m’asseye sur le vieux monsieur. Elle n’avait qu’une seconde pour se décider, et pendant cette seconde comparaît le visage du vieux monsieur et celui de la maîtresse de maison, qui lui paraissaient tous deux aussi réels, sans qu’elle pût plutôt penser que c’était l’un que l’autre qui était l’hallucination. Enfin, vers la fin de la seconde qu’elle avait pour se décider, elle crut à je ne sais quoi que c’était plutôt le vieux monsieur qui était une hallucination. Elle s’assit, il n’y avait pas de vieux monsieur, elle poussa un immense soupir de soulagement et fut à jamais guérie. Si pénible que dut certainement être la seconde de la vieille dame malade devant le fauteuil, elle ne fut peut-être pas plus anxieuse que la mienne, quand, à l’orée des salons Guermantes, j’entendis, lancé par un huissier gigantesque comme Jupiter, mon nom voler comme un tonnerre obscur et catastrophique, et quand tout en m’avançant d’un air naturel pour ne pas laisser croire par mon hésitation, s’il y avait mauvaise farce de quelqu’un, que j’en étais confus, je cherchai des yeux le prince et la princesse de Guermantes pour voir s’ils allaient me faire mettre à la porte. Dans le brouhaha des conversations, ils n’avaient pas dû entendre mon nom. La Prin-