Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/250

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fatigué, très pâle, malgré la moustache noire et les cheveux gris frisés, on le sentait vieux, mais resté très beau. Et ainsi, le visage blanc, immobile, noble, sculptural, sans regard, il m’apparut tel qu’après sa mort, sur la pierre de son tombeau dans l’église de Guermantes. Il me semblait qu’il était sa propre figure funéraire, que son individu était mort et que je ne voyais que le visage de sa race, ce visage que le caractère de chacun avait transformé, avait aménagé à ses besoins personnels, les uns intellectualisés, les autres rendus plus grossiers comme la pièce d’un château, qui, selon le goût du châtelain, a été tour à tour salle d’études ou d’escrime. Il m’apparaissait, ce visage, bien délicat, bien noble, bien beau, ses yeux se rouvraient, un vague sourire qu’il n’eut pas le temps de rendre artificiel flotta sur son visage dont j’étudiais en ce moment, sous les cheveux défaits en mèches l’ovale du front et les yeux, sa bouche s’entrouvrit, son regard brilla au-dessus de la ligne noble de son nez, sa main délicate releva ses cheveux et je me dis  : «  Pauvre M. de Quercy, qui aime tant la virilité, s’il savait l’air que je trouve à l’être las et souriant que j’ai devant moi. On dirait que c’est une femme  !   »

Mais au moment même où je prononçais ces mots en moi-même, il me sembla qu’une révolution magique s’opérait en M. de Quercy. Il n’avait pas bougé mais, tout d’un coup, il s’éclairait d’une lumière intérieure, où tout ce qui m’avait chez lui