Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/251

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choqué, troublé, semblé contradictoire, se résolvait en harmonie, depuis que je venais de me dire ces mots  : on dirait une femme. J’avais compris, c’en était une  ! C’en était une. Il appartenait à la race de ces êtres, contradictoires en effet puisque leur idéal est viril justement parce que leur tempérament est féminin, qui vont dans la vie à côté des autres en apparence, mais portant avec eux en travers de ce petit disque de la prunelle où notre désir est installé et à travers lequel nous voyons le monde, le corps non d’une nymphe, mais d’un éphèbe qui vient projeter son ombre virile et droite sur tout ce qu’ils regardent et tout ce qu’ils font. Race maudite puisque ce qui est pour elle l’idéal de la beauté et l’aliment du désir est aussi l’objet de la honte et la peur du châtiment, et qu’elle est obligée de vivre jusque sur les bancs du tribunal où elle vient comme accusée et devant le Christ, dans le mensonge et dans le parjure, puisque son désir serait en quelque sorte, si elle savait le comprendre, inadmissible, puisque n’aimant que l’homme qui n’a rien d’une femme, l’homme qui n’est pas «  homosexuel  », ce n’est que de celui-là qu’elle peut assouvir un désir qu’elle ne devrait pas pouvoir éprouver pour lui, qu’il ne devrait pas pouvoir éprouver pour elle, si le besoin d’amour n’était pas un grand trompeur et ne lui faisait pas de la plus infâme «  tante  » l’apparence d’un homme, d’un vrai homme comme les autres, qui par miracle se serait pris d’amour ou de condescendance