Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/257

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La nature, comme elle fait pour certains animaux, pour certaines fleurs, en qui les organes de l’amour sont si mal placés qu’ils ne trouvent presque jamais le plaisir, ne les a pas gâtés sous le rapport de l’amour. Sans doute l’amour n’est pour aucun être absolument facile, il exige la rencontre d’êtres qui souvent suivent des chemins différents. Mais pour cet être à qui la nature fut si… la difficulté est centuplée. L’espèce à laquelle il appartient est si peu nombreuse sur la terre qu’il a des chances de passer toute sa vie sans jamais rencontrer le semblable qu’il aurait pu aimer. Il le faudrait de son espèce, femme de nature pour pouvoir se prêter à son désir, homme d’aspect pourtant pour pouvoir l’inspirer. Il semble que son tempérament soit construit de telle manière, si étroit, si fragile que l’amour dans des conditions pareilles, sans compter la conspiration de toutes les forces sociales unanimes qui le menacent, et jusque dans son cœur par le scrupule et l’idée du péché, soit une impossible gageure. Ils la tiennent pourtant. Mais le plus souvent se contentant d’apparences grossières, et faute de trouver non pas l’homme-femme, mais la femme-homme qu’il leur faut, ils achètent d’un homme des faveurs de femme, ou par l’illusion dont le plaisir finit par embellir ceux qui le procurent, trouvent quelque charme viril aux êtres tout efféminés qui les aiment.