Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/258

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Quelques-uns, silencieux et merveilleusement beaux, Andromèdes admirables attachés à un sexe qui les vouera à la solitude, reflètent dans leurs yeux la douleur de l’impossible paradis avec une splendeur où viennent se brûler les femmes qui se tuent pour eux  ; et odieux à ceux dont ils recherchent l’amour, ne peuvent contenter celui que leur beauté éveille. Et en d’autres encore, la femme est presque à demi sortie. Ses seins sortent, ils cherchent les occasions de se travestir pour les montrer, aiment la danse, la toilette, le rouge comme une fille, et dans la réunion la plus grave, pris de folie se mettent à rire et à chanter.

Je me souviens d’avoir vu à Querqueville un jeune garçon dont ses frères et ses amis se moquaient, qui se promenait seul sur la plage  ; il avait une figure charmante, pensive et triste sous de longs cheveux noirs, dont il avivait l’éclat en y répandant en secret une sorte de poudre bleue. Bien qu’il prétendît que ce fut leur couleur naturelle, il rougissait légèrement ses lèvres au carmin. Il se promenait pendant des heures seul sur la plage, s’asseyait sur les rochers et interrogeait la mer bleue d’un œil mélancolique, déjà inquiet et insistant, se demandant si dans ce paysage de mer et de ciel d’un léger azur, le même qui brillait déjà aux jours de Marathon et de Salamine, il n’allait pas voir s’avancer sur une barque rapide et l’enle-