Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/263

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marche  ; au bout de la rue où on les rencontre, redressant d’un air belliqueux des hanches féminines, prévenant à force d’impertinence le mépris supposé, masquant – et redoublant – par une feinte nonchalance l’agitation de manquer ce but dont ils se rapprochent moins vite en feignant de ne pas le voir, on apercevra toujours une tunique lycéenne ou une crinière militaire  ; et les uns comme les autres, on les voit avec l’œil curieux et l’attitude indifférente des espions rôder autour des casernes. Mais les uns et les autres, dans le café où ils s’ignorent encore, fuient devant la lie de leur race, devant la secte porte-bracelets, de ceux qui dans les lieux publics ne craignent pas de serrer contre eux un autre homme et relèvent à tous moments leur manchette pour laisser voir à leur poignet un rang de perles, faisant lever et partir, comme une odeur intolérable, les jeunes gens qu’ils pourchassent de leurs regards tour à tour provocants et furieux, les lévites et les élégants qu’ils désignent de rires efféminés et de gestes équivoques et méchants, cependant que le garçon de café indigné mais philosophe et qui sait la vie, les sert avec une politesse irritée, ou se demande s’il va falloir chercher la police, mais en empochant toujours le pourboire.

Mais parfois, comme le désir d’un plaisir bizarre peut éclore une fois dans un être normal, le désir que le corps qu’il serrait contre le sien eût des seins de femme pareils à des roses de Bengale et d’autres