Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/267

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Et à cause de cela même, des détours particuliers de ma vie qui me mettaient en leur présence d’une façon chaque fois différente, je n’avais dans aucune de ces circonstances particulières pensé peut-être à cette race des Guermantes mais seulement à la vieille dame à qui ma grand-mère m’avait présenté et qu’il fallait penser à saluer, à ce que pourrait penser Mlle de Quimperlé en me voyant avec elle, etc. Ma connaissance de chaque Guermantes était issue de circonstances si contingentes et chacun avait été amené si matériellement devant moi par les images toutes physiques apportées par mes yeux ou par mes oreilles, le teint couperosé de la vieille dame, ses mots  : « Venez me voir avant le dîner  », que je n’avais pu avoir l’impression d’un contact avec cette race mystérieuse, un peu comme pouvait être pour les anciens une race où quelque sang animal ou divin coulait. Mais à cause de cela même, donnant peut-être quand j’y pensais quelque chose de plus poétique à l’existence, en pensant que les circonstances seules avaient déjà tant de fois approché de ma vie sous des prétextes divers ce qui avait été l’imagination de mon enfance. À Querqueville, un jour que nous parlions de Mlle de Saint-Etienne, Montargis m’avait dit  : «  Oh  ! c’est une vraie Guermantes, c’est comme ma tante Septimie, ce sont des saxes, des figurines de Saxe.  » Ces mots en entrant dans mon oreille apportent avec eux une si indélébile image qu’il en résulte chez moi