Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/269

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à fouler pour des pieds humains que les tablettes de cristal d’une vitrine. À vrai dire les Guermantes réels, s’ils différaient essentiellement de mon rêve, étaient cependant, une fois admis que c’étaient des hommes et des femmes, assez particuliers. Je ne sais pas quelle était cette race mythologique qui était issue d’une déesse et d’un oiseau, mais je suis sûr que c’étaient les Guermantes.

Grands, les Guermantes ne l’étaient généralement pas hélas  ! d’une manière symétrique, et comme pour établir une moyenne constante, une sorte de ligne idéale, d’harmonie qu’il faut perpétuellement faire soi-même comme sur le violon entre leurs épaules trop prolongées, leur cou trop long qu’ils enfonçaient nerveusement dans les épaules, comme si on les eût embrassés sous l’autre oreille, leurs sourcils inégaux, leurs jambes souvent inégales aussi par des accidents de chasse, ils se levaient sans cesse, se tortillaient, n’étaient jamais vus que de travers, ou redressés, rattrapant un monocle, le levant aux sourcils, tournant un genou gauche de leur main droite.

Ils avaient, au moins tous ceux qui avaient conservé le type de la famille, un nez trop busqué (quoique sans aucun rapport avec le busqué juif), trop long, qui tout de suite, chez les femmes surtout quand elles étaient jolies, chez Mme de Guermantes plus que chez toutes, mordait sur la mémoire comme quelque chose de presque déplaisant la première fois, comme l’acide qui grave  ;