Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/270

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au-dessous de ce nez qui pointait, la lèvre trop mince, trop peu fournie donnait à la bouche quelque chose de sec et une voix rauque, un cri d’oiseau en sortait, un peu aigre mais qui enivrait. Les yeux étaient d’un bleu profond, qui brillait de loin comme de la lumière, et vous regardaient fixement, durement, semblaient appuyer sur vous la pointe d’un saphir inémoussable avec un air moins de domination que de profondeur, moins de vouloir vous dominer que vous scruter. Les plus sots de la famille héritaient par la femelle et aussi perfectionnaient par l’éducation cet air de psychologie à qui rien ne résiste et de domination des êtres, mais à qui leur stupidité ou leur faiblesse avait donné quelque chose de comique, si ce regard n’eût eu par lui-même une ineffable beauté. Les cheveux des Guermantes étaient habituellement blonds tirant sur le roux, mais d’une espèce particulière, une sorte de mousse d’or moitié touffe de soie, moitié fourrure de chat. Leur teint qui était déjà proverbial au XVIIe siècle était d’un rose mauve, comme celui de certains cyclamens, et se granulait souvent au coin du nez sous l’œil gauche d’un petit bouton sec, toujours à la même place, que la fatigue enflait quelquefois. Et dans certaines parties de la famille, où on ne s’était marié qu’entre cousins, il s’était assombri et violacé. Il y avait certains Guermantes, qui venaient peu à Paris, et qui, se tortillant comme tous les Guermantes au-dessous de leur bec proé-