Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/287

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de Rameau ce dehors galant d’un drame antique. Les choses sont moins belles que le rêve que nous avons d’elles, mais plus particulières que la notion abstraite qu’on en a. Te souviens-tu comme tu recevais avec plaisir les simples cartes si heureuses que je t’envoyais de Guermantes  ? Souvent depuis tu m’as demandé  : « Raconte-moi un peu ton plaisir.  » Mais les enfants n’aiment pas avoir l’air d’avoir eu du plaisir, de peur que les parents ne les plaignent pas.

Je t’assure qu’ils n’aiment pas non plus avoir l’air d’avoir eu du chagrin pour que leurs parents les plaignent trop. Je ne t’ai jamais raconté Guermantes. Tu me demandais pourquoi, quand tout ce que j’ai vu, sur quoi tu comptais pour me faire plaisir, a été une déception pour moi, Guermantes ne l’a pas été. Hé bien, ce que je cherchais à Guermantes, je ne l’y ai pas trouvé. Mais j’y ai trouvé autre chose. Ce qui est beau à Guermantes, c’est que les siècles qui ne sont plus y essayent d’être encore  ; le temps y a pris la forme de l’espace, mais on le reconnaît bien. Quand on entre dans l’église à gauche, il y a trois ou quatre arches rondes qui ne ressemblent pas aux arches ogivales du reste, et qui disparaissent engagées dans la pierre de la muraille, dans la construction plus nouvelle où on les a engagées. C’est le XIe siècle, avec ses lourdes épaules rondes, qui passe là, furtivement encore, qu’on a muré, et qui regarde étonné le XIIIe siècle et le XVe, qui se mettent