Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/294

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joies qui, dans un sens que nous comprenons mal, survivent à la mort, s’adressant en nous à quelque chose qui du moins n’est pas sous son empire. Le poète qui donne sa vie à une œuvre qui ne recueillera de suffrages qu’après sa mort obéit-il vraiment au désir d’une gloire qu’il ne connaîtra pas  ? Et n’est-ce pas plutôt une part éternelle de lui-même qui travaille, pendant que lui est laissé (et même si elle ne peut travailler que dans cette habitation éphémère), à une œuvre éternelle aussi  ? Et s’il y a contradiction entre ce que nous savons de la physiologie et la doctrine de l’immortalité de l’âme, n’y a-t-il pas contradiction aussi entre certains de nos instincts et la doctrine de la mortalité complète  ? Peut-être ne sont-elles pas plus vraies l’une que l’autre et la vérité est-elle toute différente, comme par exemple deux personnes, à qui l’on aurait parlé il y a cinquante ans du téléphone, si l’une avait cru que c’était une supercherie, et l’autre que c’était un phénomène d’acoustique et que la voix était conservée indéfiniment dans des tuyaux, se seraient trompées toutes deux également.

Moi je ne voyais au contraire jamais sans tristesse les cloches de Chartres, car souvent c’est jusqu’à Chartres que nous accompagnions Maman quand elle quittait Combray avant nous. Et la forme inéluctable des deux clochers m’apparais-