Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/309

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naître si une autre harmonie se présente, même si simplement entre deux tableaux d’un même peintre il aperçoit une même sinuosité de profils, une même pièce d’étoffe, une même chaise, montrant entre les deux tableaux quelque chose de commun  : la prédilection et l’essence de l’esprit du peintre. Ce qu’il y a dans le tableau d’un peintre ne peut le nourrir, ni dans un livre d’un auteur non plus, et dans un second tableau du peintre, un second livre de l’auteur. Mais si dans le second tableau ou le second livre, il aperçoit quelque chose qui n’est pas dans le second et le premier, mais qui en quelque sorte est entre les deux, dans une sorte de tableau idéal, qu’il voit en matière spirituelle se modeler hors du tableau, il a reçu sa nourriture et recommence à exister et à être heureux. Car pour lui exister et être heureux n’est qu’une seule chose. Et si entre ce tableau idéal et ce livre idéal dont chacun suffit à le rendre heureux, il trouve un lien plus haut encore, sa joie s’accroît encore. Car il meurt instantanément dans le particulier, et se remet immédiatement à flotter et à vivre dans le général. Il ne vit que du général, le général l’anime et le nourrit, et il meurt instantanément dans le particulier. Mais le temps qu’il vit, sa vie n’est qu’une extase et qu’une félicité. Il n’y a que lui qui devrait écrire mes livres. Mais aussi seraient-ils plus beaux  ?