Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/308

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

entre deux idées, deux sensations, je le sens toujours vif en moi, mais pas fortifié, et qui sera bientôt affaibli et mort. Pourtant, il aura de la peine, car c’est souvent quand je suis le plus malade, que je n’ai plus d’idées dans la tête ni de forces, que ce moi que je reconnais parfois aperçoit ces liens entre deux idées, comme c’est souvent à l’automne, quand il n’y a plus de fleurs ni de feuilles, qu’on sent dans les paysages les accords les plus profonds. Et ce garçon qui joue ainsi en moi sur les ruines n’a besoin d’aucune nourriture, il se nourrit simplement du plaisir que la vue de l’idée qu’il découvre lui donne, il la crée, elle le crée, il meurt, mais une idée le ressuscite, comme ces graines qui s’interrompent de germer dans une atmosphère trop sèche, qui sont mortes  : mais un peu d’humidité et de chaleur suffit à les faire renaître.

Et je pense que le garçon qui en moi s’amuse à cela doit être le même que celui qui a aussi l’oreille fine et juste pour sentir entre deux impressions, entre deux idées, une harmonie très fine que d’autres ne sentent pas. Qu’est-ce que cet être, je n’en sais rien. Mais s’il crée en quelque sorte ces harmonies, il vit d’elles, aussitôt il se soulève, germe, grandit, de tout ce qu’elles lui donnent de vie, et meurt ensuite, ne pouvant vivre que d’elles. Mais si prolongé que soit le sommeil où il se trouve ensuite (comme pour les graines de M. Becquerel), il ne meurt pas, ou plutôt il meurt mais pour re-