Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/317

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la valeur morale d’un homme sur ses discours.) Le bon sens des artistes, le seul critérium de la spiritualité d’une œuvre, c’est le talent.

Le talent est le critérium de l’originalité, l’originalité est le critérium de la sincérité, le plaisir (pour celui qui écrit) est peut-être le critérium de la vérité du talent.

Il est presque aussi stupide de dire pour parler d’un livre  : «  C’est très intelligent  », que «  Il aimait bien sa mère.  » Mais le premier n’est pas encore mis en lumière.

Les livres sont l’œuvre de la solitude et les enfants du silence. Les enfants du silence ne doivent rien avoir de commun avec les enfants de la parole, les pensées nées du désir de dire quelque chose, d’un blâme, d’une opinion, c’est-à-dire d’une idée obscure.

La matière de nos livres, la substance de nos phrases doit être immatérielle, non pas prise telle quelle dans la réalité, mais nos phrases elles-mêmes et les épisodes aussi doivent être faits de la substance transparente de nos minutes les meilleures, où nous sommes hors de la réalité et du présent. C’est de ces gouttes de lumière cimentées que sont faits le style et la fable d’un livre.

En outre, il est aussi vain d’écrire spécialement pour le peuple que pour les enfants. Ce qui féconde un enfant, ce n’est pas un livre d’enfantillages. Pourquoi croit-on qu’un ouvrier électricien a